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« Un corps d’homme », d’Olivier Haralambon, Premier Parallèle, 168 p., 17 €, numérique 11 €.
A l’automne 2019, alors qu’il est encore coureur cycliste, Olivier Haralambon fait une chute lors d’une course grisante avec le jeune champion François-Xavier Berzingue – dans lequel on reconnaît sans peine Romain Bardet. L’écrivain et philosophe, qui s’était construit comme un athlète et nourrissait un culte pour les « monstres physiologiques (…) du Tour de France », se voit soudain alité, et ce « grand fracas d’obscurité [qui] s’est abattu sur le monde » modifie son rapport tout entier à l’existence. Cinq ans plus tard, il tire de cette expérience, dans Un corps d’homme, une passionnante méditation sur le corps, l’identité et leurs métamorphoses.
Le corps, d’abord : est-ce une « carcasse » fragile et périssable qui contient notre âme ? L’auteur du Coureur et son ombre (Premier Parallèle, 2017) rejette tout dualisme : « Il est fort probable que l’âme et le corps soient les deux termes d’une seule et même chose qu’il nous est impossible de nommer. C’est même précisément le langage qui impose de les distinguer. » Les sentiments sont des « états organiques » et, réciproquement, nos spécificités physiques créent une manière particulière de nous mouvoir, d’occuper l’espace et de bâtir notre identité. Perdre une partie de son corps revient-il dès lors à perdre une partie de son identité ? L’accident est-il toujours affaiblissement et diminution de soi ?
Olivier Haralambon fait le pari inverse. Au début hésitante, sa pensée aboutit à une affirmation puissante de l’élan que l’accident a impulsé en lui. Loin de la conception philosophique traditionnelle, selon laquelle un accident est un fait contingent affectant une substance (séparée et ayant sa cohérence propre), il finit par le célébrer comme une voie de renouvellement et d’enrichissement de notre identité, de nos talents et de notre lien à l’environnement. Il n’affecte pas notre substance de l’extérieur : il en participe, en la transformant. En nous privant de nos repères habituels, trop longtemps confondus avec la réalité, il élargit le champ de notre existence.
L’un des charmes du livre est qu’il exprime, par sa forme même, ce désordre créateur. S’y mêlent des évocations de grands musiciens dont le style est né de leur corps accidenté, tels Django Reinhardt et Chet Baker ; de Jean-Jacques Rousseau, que le vol plané provoqué par un chien dans une rue parisienne laissa dans un état d’inconscience et de plénitude heureuses ; de la conversion de saint Paul après une chute de cheval, telle que la peignit le Caravage… L’auteur passe aussi en revue des théories scientifiques et philologiques sur les âges de la vie, ou glisse des observations sur un vieillard croisé dans le PMU de son quartier. Le texte, hétéroclite, hybride, imite la vie qu’il cherche à saisir : une vie fondée sur des mues perpétuelles.
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